ANgrywOmeNYMOUS


samedi 8 octobre 2011

"Un vrai viol, c'est avec un couteau". On aura tout entendu !


Par Peggy Sastre sexe, science et al.

Edité par Gaëlle-Marie Zimmermann Auteur parrainé par Melissa Bounoua

Depuis le début de l'affaire DSK, ce qui m'intéresse le plus (devrais-je dire "me passionne", n'ayons pas peur des mots), c'est la façon dont tout, absolument tout, se met à sa place.

Levai

Ivan Levaï, journaliste et ancien mari d'Anne Sinclair. (JEAN-LOUP GAUTREAU / AFP)

Ni honte ni gêne : Levaï en plein show lacrymal pro-DSK

Si je ne crois pas - mais on verra - que cette histoire puisse avoir un quelconque effet, catastrophique ou idyllique, sur la "cause de femmes", j'ai en revanche l'impression qu'elle révèle merveilleusement bien un certain état de fait.

Comme si, en éjaculant "sans contrainte, ni violence" (lol) dans la bouche de Nafissatou Diallo, Dominique Strauss-Kahn avait levé par la même occasion tous les voiles, toutes les ambiguïtés, tous les doutes, et qu'il ne restait, dans leurs plus parfaites transparences, que l'évidence, la banalité et la prévisibilité.

Dernière manifestation du concept en date : Ivan Levaï, digne représentant de la frange "comment le principe de Dilbert s'applique aussi au journalisme".

Jean-François Kahn, il est vrai, en fut aussi un beau spécimen, mais comme il a décidé de se retirer de la vie médiatique, laissons-le jouir de sa paisible et silencieuse retraite et ne le dérangeons pas d'un vil bruit de balles ricochant sur la tôle d'une malheureuse ambulance qui passait par là.

Monsieur Ivan Levaï, mandarin de notre prestigieux secteur informationnel national, sort donc ces jours-ci un livre, la main sur le cœur et le kleenex à portée de main. Et n'ayant visiblement pas compris qu'on se doit, lorsqu'on est un grand journaliste - et même un grand Homme tout court, avé la majuscule -, faire fi de la dictature de l'émotion, Ivan Levaï n'y va pas par quatre chemins pour faire chialer mémé.

Non, car il a décidé de nommer son livre "Chronique d'une exécution".

C'est là qu'on se dit que le livre papier arrive en effet en bout de course, et qu'avec les formidables ressources du livre numérique, on pourrait appuyer la charge d'un tel ouvrage en l'agrémentant d'effets sonores aussi dramatiques que suspensifs, façon tatatiiiiiin. Des effets qui, vous l'aurez remarqué, passent moyen à l'écrit.

Dans le cadre de sa récente mais néanmoins persévérante tournée de promotion, Ivan Levaï était donc hier matin sur France Inter, dans l'émission de Pascale Clark, que j'ai écoutée pour la première fois aujourd'hui, on ne m'y reprendra plus de mon plein gré, promis.

En même temps, il me faut être honnête et préciser que l'auteur de ce livre n'est pas l'Ivan Levaï glorieux journaliste, mais l'Ivan Levaï proche, ami du couple Sinclair/Strauss-Kahn, membre de la famille, ancien mari de madame : en un mot comme en cent homme, avec ou sans majuscule, c'est à votre discrétion.

Et il a plongé sa plume dans sa "plaie ouverte" pour tenter de coucher sur papier, dans toute son immensité traumatique, ce "séisme personnel" que fut l'arrestation, le 14 mai dernier, de Dominique Strauss-Kahn. On ne me la fera pas, il y a du récit tellurique en perspective (ce dont je ne peux qu'augurer, vu que je n'ai pas lu ce livre et ne le lirai probablement jamais, pour le bien de ma santé mentale déjà chancelante).

Ignorance totale du sujet : pas grave, Levaï en parle quand même

Et heureusement, tant, du début à la fin de cette interview, Ivan Levaï n'a fait qu'une chose : démontrer sa totale ignorance d'un sujet qu'il prétend pourtant connaître de près (de très près même, comme dans les publicités pour rasoirs) et témoigner d'une bêtise qui aurait pu me faire honte si, Darwin soit loué, je n'avais pas été dotée d'une capacité d'empathie frôlant le zéro absolu.

Ça commence donc assez fort (je vous passe le couplet sur que mes enfants qu'ils sont malheureux que leur beau-père il était en prison et que d'ailleurs ma fille elle est aveugle – non, ça c'est dans la Petite Maison dans la Prairie), avec son insistance sur le blanchiment judiciaire de Dominique Strauss-Kahn : s'il avait été Khrouchtchev, il aurait tapé sa chaussure sur la table. "Dominique Strauss-Kahn, je le rappelle, a été blanchi", affirme-t-il.

dsk menottes

Dominique Strauss-Kahn (AFP)

Alors évidemment, on peut se tirer la nouille sur la signification du blanchiment en justice, mais je crois que son sens le plus immédiat, c'est lorsque qu'un présumé coupable est jugé innocent par un jury au terme d'un procès. Pas quand un procureur décide de stopper une procédure pénale avant le procès, parce qu'il estime qu'il ne pourra pas convaincre le susdit jury de la culpabilité du présumé coupable.

Comme l'expliquait clairement et simplement Lisa Friel, ancienne procureur adjointe au tribunal de Manhattan et ex-directrice de la Sex Crimes Unit, une brigade policière spécialisée dans la répression des crimes sexuels (nonobstant ses non-liens personnels avec l'ex-accusé, m'est avis qu'elle connaît le fameux dossier bien mieux qu'Ivan Levaï) :

"Si j’ai bien compris, [DSK] semblait dire qu’il est innocent, qu’il n’y a pas de preuves contre lui et que sa victime avait menti sur tout. Il suffit de lire le rapport pour comprendre que c’est un peu différent. Nous avons bien trouvé des preuves scientifiques, mais nous n’avons pas pu prouver ce qui s’est passé ce jour, au-delà du doute raisonnable, comme on dit dans notre procédure. Et nous avions des points d’interrogation sur la crédibilité de la victime.

(...)

Je peux vous affirmer que Nafissatou Diallo est bien une victime. Il existe des éléments de preuves qui étayent son propos. Je ne peux croire qu’elle ait inventé tout cela de toutes pièces. Je crois surtout les preuves. Mais ces éléments dont nous disposions n’étaient pas suffisants pour poursuivre ce dossier et pour l’affirmer, sans doute raisonnable, devant un jury de douze personnes et à l’unanimité. Dans un tribunal américain, dans une procédure au pénal, la charge de la preuve doit être indiscutable. Ce que vous pensez pouvoir prouver et ce que vous croyez être la vérité sont deux choses bien différentes. Au mois de juin, deux policiers accusés de viol dans l’exercice de leur fonction ont été relaxés par le tribunal de Manhattan parce que nous n’avons pas su convaincre le jury."


Quelques minutes plus tard, suivant l'exemple de celui avec qui il partage une "famille recomposée", Ivan Levaï s'en remet au rapport de Cyrus Vance Jr. Il l'a lu, précise-t-il, "de la première à la dernière ligne" et a remarqué qu'un mot revenait sans cesse, le terme "d'incident", autrement dit, explique Levaï, "ce qui s'est passé dans la suite du Sofitel, c'est un incident".

Là, on se demande comment Ivan Levaï a pu se hisser si haut dans la hiérarchie des ceusses qui nous informent en ne parlant pas anglais, car "incident", dans ce contexte, n'a pas le sens principal qu'il a en français "d'accident pas grave", mais tout simplement "d'événement" : c'est un terme neutre qui désigne les faits ayant conduit à l'intervention des services policiers et judiciaires, et qui se retrouve dans n'importe quel cas de ce genre, du vol de carambar à l'arrachage de tête suivie d'une branlette dans les orbites du cadavre.

Ensuite, après une reconstitution de "l'incident", dans le sens anglais du terme, fondée sur son "expérience personnelle", Ivan Levaï proclame qu'il "ne croit pas au viol". Dit comme ça, ça ne porterait pas à conséquences (moi, je ne crois pas aux vertus du Reiki, vous savez), sauf qu'il précise son idée, en disant que "pour un viol, il faut un couteau, un pistolet, etc.".

Vance

Cyrus Vance Jr. - AFP

A ce moment, j'avoue qu'une des voix qui me parlent dans la tête a eu très envie, comme Albert Dupontel en d'autres lieux et en d'autres temps, d'enfourcher un quelconque destrier pour me rendre fissa dans les locaux de France Inter et percer les genoux d'Ivan Levaï au vilebrequin. Mais une autre voix, parlant plus fort, m'a convaincue de rester bien tranquille derrière mon ordinateur, de faire des économies d'essence (ya pu de pétrole) et de préférer comme toujours la voie du pluralizme et du pacifizme (et aussi du réalizme, car je serais arrivée bien trop tard, et je ne possède pas de vilebrequin). Ouf.

Sur ce point, avec bonheur, les réactions ont depuis été nombreuses, et je ne saurais enfoncer le clou (dans aucun genou, je le jure) qu'en vous conseillant d'aller lire cet article qui explique encore une fois les choses clairement et simplement.

Quant à la mention des "10% de fantasmes" (je suppose qu'il faut entendre "fausses accusations", nous savons désormais qu'Ivan Levaï est un libertin avec le vocabulaire) dans les affaires de viol, j'avoue aussi qu'elle m'étonne.

Non pas en soi (anéfé, certaines statistiques font état d'environ 8% d'accusations mensongères), mais venant d'un individu qui vient de passer une demi-heure à expliquer qu'il ne-sait-pas-ce-qui-s'est-passé-dans-la-chambre-2806 (si quelqu'un a mis 10 francs dans le nourrain à chaque fois que cette formule a été prononcée depuis le 14 mai, il doit pouvoir aujourd'hui se payer un vol spatial, voire deux), qu'il y a des choses qu'on ne peut pas savoir et même pas demander, bref, asséner avec tant d'assurance un chiffre qui, pour le dire poliment, est très controversé (parce qu'intrinsèquement complexe à établir), c'est surprenant.

Emphase, lyrisme et fantaisies amoureuses : Levaï enfonce le clou

Dans une ultime envolée lyrique, l'ami qu'on voudrait ne jamais avoir mentionne toutes ces femmes qui ont souffert "par amour", resservant à la louche la soupe de la féminité sacrificielle et confondant (c'est commun, je ne lui jette pas la pierre), à savoir amour et intoxication.

Car si je n'ai absolument rien contre ces valeureux exemples d'épouses bafouées, mais néanmoins très dignes et fortes et fondantes à la fois dans leurs immenses souffrances immémoriales, j'aimerais juste ne plus avoir à les supporter dans mon champ d'audition, de la même manière qu'il est douloureux à mes tympans d'entendre geindre ceux qui, venant de se tirer une balle dans le pied, se plaignent que ça pique.

A la toute fin de l'émission, tout fier de lui, à l'image de ces puceaux qui récitent Montherlant les mains dans le short avant de se réabonner à "Valeurs Actuelles" ("se faire des amis est une nécessité de commerçant, se faire des ennemis une occupation d'aristocrate", uh uh uh), Ivan Levaï s'amuse de l'inimitié qui le lie à Jean-Pierre Elkabbach.

Alors, en hommage à son ennemi juré, je n'aurai qu'un conseil à lui donner : taisez-vous, Ivan Levaï. Des journalistes comme vous, on s'en passe.


Sur le NObs

5 commentaires:

  1. christophe aubert8 octobre 2011 à 22:03

    La phrase qui m'avait choqué, parmi les phrases qui m'avaient choqué de Levaï, lors de l'entretien France Inter (écoutons l’indifférence). Phrase que j'avais déjà dénoncé chez Kali, c'est le moment où notre homme parle de son ex-femme Anne Sinclair, et dit : "Il n'y a que les gens extrêmement riches, ou extrêmement pauvres, qui peuvent avoir se désintéressement vis à vis de l'argent"...
    Ca m'a tué. Quant on n'a pas d'argent, on ne pense qu'à ça, hélas, car il s'agit alors de survivre, tout bêtement de survivre.Manger, se chauffer, se soigner, se vêtir, rester propre devient une difficulté de chaque instant.
    Je ne me souviens plus du chiffre exact, mais je crois que l'espérance de vie d'un sans abris par exemple, est de moins de trois mois dans la rue.
    Mais comment ces types comme Levaï peuvent être autoriser ainsi à répandre leur immonde incompétence humaine à longueur de radio, journaux, livres et télévisions ?
    Quelle inhumanité.

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  2. J'ai regardé son intervention chez Ruquier, j'ai même fini par ressentir un peu de pitié pour cet homme. Enfin au moins, on remet les pendules à l'heure, ça fait du bien !

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  3. Manassé, une chanteuse franco-congolaise, a composé un hymne pour Nafissatou. De nombreux soutiens se forment en Afrique.

    http://www.dakaractu.com/Manasse-chante-pour-Nafissatou-Diallo-VIDEO_a4182.html

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  4. Euterpe, j'ai envoyé un mail à Claude Ribbe et à Allain Jules, hier soir. AJ m'a répondu qu'il était au courant (à vomir...). CR est sans doute en vacances.
    Je te dirai si j'ai une réponse.

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